En finalisant l’intégration du système de recommandation The Echo Nest à sa plateforme, Spotify a enrichi ses API (interfaces de programmation) de nouvelles fonctions ouvrant la voie au développement de générateurs de playlists accessibles sur le Web, qui permettent à ses utilisateurs d’avoir un peu plus la main sur la programmation des flux musicaux qu’ils écoutent, en fonction de critères variés.
Deux ans après son rachat du moteur de recommandation The Echo Nest, qui est une émanation du MIT (Massachusetts Institute of Technology), Spotify est en train de finaliser son intégration, en rapatriant ses appels de fonctions dans ses propres API Web (interfaces de programmation). Les développeurs d’applications Web qui souhaitent utiliser les fonctions de The Echo Nest, par exemple pour créer un moteur capable de générer automatiquement des playlists Spotify selon différents critères, doivent désormais se brancher sur celles de la plateforme de streaming suédoise. Cette intégration des API de The Echo Nest dans celles de Spotify se traduit concrètement, pour l’heure, par l’ajout de trois nouvelles fonctions, ou “endpoints”.
La première de ces fonctions (Audio Features) permet de définir les caractéristiques acoustiques des titres à sélectionner. Les algorithmes de The Echo Nest analysent tous les titres du catalogue de Spotify afin d’en extraire un certain nombre de propriétés : du volume sonore à la popularité, en passant par leur caractère plus ou moins dansant, plus ou moins instrumental, plus ou moins live, plus ou moins énergique, etc. Cette fonction va permettre d’opérer un sélection des caractéristiques retenues et de leur accorder une valeur selon le degré d’intensité souhaité. La deuxième fonction héritée de The Echo Nest (Recommandations) permet de générer des playlists à partir du nom d’un artiste, d’un genre de musique, ou du titre d’une chanson, sur la base des liens de similarité identifiés par le moteur de recommandation de The Echo Nest. La troisième fonction (User Top Artists & Tracks) permet d’extraire la liste des artistes ou des chansons les plus écoutées par un utilisateur de Spotify. Une console interactive permet de tester toutes les fonctions des API Web de Spotify.
Balades musicales instantanées
Les équipes de Hydric Media, un studio de développement d’applications mobiles australien, ont mis au point un générateur de playlists accessible sur le Web qui marrie les deux premières de ces nouvelles fonctions. Il suffit de quelques clics de souris pour revisiter les 70’s avec quelques noms d’artistes, et obtenir une playlist d’une vingtaine de titres essentiellement acoustiques et instrumentaux (ci-dessous à partir d’Aerosmith, Alice Cooper et Black Sabbath).
La petite application Web MagicPlaylist, développée par un jeune argentin, permet quant à elle de générer une playlist d’une trentaine de titres à partir d’une chanson. Son algorithme s’appuie sur trois appels de fonction des API de Spotify. Il effectue d’abord une recherche à partir du titre de la chanson demandée, avant de proposer plusieurs alternatives avec un nom d’artiste associé. Une fois le titre de la chanson et son interprète identifiés, MagicPlaylist recherche des artistes similaires, avant de piocher dans la liste des titres les plus écoutés de chacun d’eux. A partir de la chanson Respire de Mickey 3D, la balade musicale sur fond de rock alternatif français des années 90 et 2000 est instantanée : de Saez à Louise Attaque, en passant par Noir Desir, Matmatah, Dionysos ou Tryo. Et c’est le rock anglo-saxon des années 80 que le titre Just What I Needed de The Cars invite à redécouvrir : de The Knack à Billy Idol, en passant par Huey Lewis, les B-52’s et Police. L’option est proposée d’enregistrer chaque playlist générée dans son profil Spotify, où de générer une nouvelle playlist à partir d’un de ses titres.
Les esthétiques de niche ne sont pas moins bien servies. Le titre Hyena, de Jamshied Sharafi – un texan de père marocain qui a fait ses humanités au MIT avant d’étudier le piano jazz et la composition à la Berklee Music School à Boston -, amène MagicPlaylist à dessiner un parcours à la croisée des musiques africaines et orientales, du jazz et du New Age. Idéal pour ambiancer un après-midi méditatif. Dans un autre registre, le tube La Grange, de ZZ Top, garantit d’avoir un son bien rock à l’apéro ; quand Born To Be Alive, de Patrick Hernadez, permettra d’enchaîner quelques standards de disco pour faire bouger un dancefloor improvisé.
L’utilisateur final encore délaissé
The Echo Nest n’est pas le seul moteur de recommandation du marché. Mais de Musicovery à Nyland, en passant par Musimap, rares sont ceux qui ciblent prioritairement des développeurs d’applications à destination de l’utilisateur final et non expert. Ces services s’adressent en effet plus directement, aujourd’hui, à ceux qui programment les smartradios de Deezer ; ou alors à des consommateurs de musique très avancés, qui restent une minorité. ““Nous n’allons pas recourir à toutes les finesses qui permettent de faire accéder l’auditeur à un flux ultra contextuel et pertinent, expliquait en 2011 Axel Dauchez, alors PDG de Deezer, au magazine professionnel Musique Info. Ce n’est pas notre priorité immédiate. Nous proposons déjà des smartradios. Ce sont des flux d’artistes que l’utilisateur perçoit comme des radios musicales. Nous allons améliorer leurs algorithmes, mais pas pour créer des radios qui seraient certes de plus en plus intelligentes mais finalement très passives.”
“On est en train de s’engager dans une spirale de sophistication des fonctions de recommandation musicale proposées au public final, quand les programmateurs radio utilisent encore des outils qui n’intègrent pas eux-mêmes ces bases de données et ces outils de recommandation”, regrettait alors Jean-Luc Biaulet, fondateur de Music-Story, dont les API donnent accès à des métadonnées musicales enrichies. Ce qui n’était pas une priorité alors est peut-être en passe de le devenir. Pour l’heure, les utilisateurs de Deezer devront se contenter de Filtr, seul générateur de playlists présent dans le App Studio de la plateforme. Ceux de Spotify sont à peine mieux lotis. Mais à l’avenir, les fans de musique pourront parler directement à leur smarphone, via des systèmes de commande vocale comme Siri, et lui demander de programmer leurs musiques préférées du moment, celles sur lesquelles ils aiment danser, ou une sélection des standards de soul music des années 60. Et leur smartphone les connaîtra si bien qu’il suffira peut-être de lui glisser “Envoie la sauce !” pour entendre jouer ses groupes de hard rock favoris.