Comment Spotify pourrait aider les nouveaux artistes à gagner leur vie ?

Dans le cadre de notre partenariat avec Music Ally, une analyse du contentieux Spotify/Thom York  par Stuart Dredge . Et une analyse de l’avenir du streaming tout court! N’hésitez pas à vous abonner à Music Ally et à leur offre gratuite ici: http://musically.com/subscribe/

 

C’est l’heure de se poser deux minutes et de réfléchir à tête reposée au débat qui a eu lieu cette semaine au sujet des « artistes contre spotify ». Le débat est trop blanc ou noir, trop « musique vs technologies », « traditionnel vs innovation », « artistes vs multinationales ».

Au moins 80% du débat est basé sur des rumeurs, des données volontairement mal interprétées, des vieilles rancœurs, et le souvenir malheureusement exact des très nombreux exemples d’artistes s’étant fait avoir par les nouvelles méthodes de distribution.

Un des problèmes, tel que je le vois, est que Spotify a dépensé toute son énergie à conquérir l’industrie de la musique, en signant des contrats de licence avec tous les labels  dont ils voulaient les catalogues. Et Spotify a très bien réussi son coup de ce point de vue.

L’argument est relativement simple : le streaming cannibalise le piratage plus que les ventes, et même si le revenu d’une écoute est bien moindre qu’une vente de CD ou de mp3, le fait d’être payé à chaque écoute sera plus bénéfique sur le long terme. Ces deux arguments sont vrais, preuves à l’appui.

En Norvège, les ventes de musique ont augmenté de 17% au premier semestre 2013 par rapport à 2012. Une hausse surprenante dans le contexte de l’industrie de la musique actuelle. Le streaming compte pour 66% du total des ventes en Norvège, et le piratage a chuté de 81,9% depuis 2008, selon un rapport publié la semaine dernière.

Pendant ce temps-là, en Suède, les ventes de musique ont augmenté de 13,8% en 2012, et le streaming compte maintenant pour 57,5% des ventes de musique enregistrée. Dans les deux pays, le streaming a fait repartir l’industrie de la musique, après plus de 10 ans de déclin.

C’est la clé du débat de cette semaine, et c’est pourquoi la défense de Spotify comme quoi ils ont versé 500 millions de dollars aux ayants-droit depuis le lancement et prévoient de verser la même somme en 2013, tombe dans l’oreille d’un sourd.

Le débat de cette semaine n’est pas sur la valeur qu’apporte Spotify à l’industrie de la musique, pour lequel de plus en plus de preuves sont apportées, mais sur la valeur apportée aux nouveaux artistes.

La valeur apportée aux artistes ayant une carrière établie est également prouvée. Plus vous êtes connu, plus nombreux seront les gens qui écouteront votre musique sur Spotify et ses concurrents, et plus grand sera le nombre d’écoutes par fan.

 

spotify revenus

 

 

Si vous êtes les Rolling Stones (ou Metallica, Jay-Z ou les Pink Floyd), mettre votre catalogue sur les plateformes de streaming est un choix logique.

Mais le débat de cette semaine n’est pas à propos de ces artistes. Il est à propos des nouveaux artistes émergents.

Je ne suis pas un spécialiste de la gestion de crise RP, mais il me parait évident que Spotify devrait concentrer sa communication autour d’une seule question dans les prochaines semaines : Comment peut-on aider les nouveaux artistes à gagner leur vie ? Comment les aidons-nous aujourd’hui, et comment peut-on s’améliorer pour les aider encore mieux dans le futur ?

Voici un tweet posté il y a quelques jours par Ethan Kaplan (Live Nation), qui fait partie de la sphère digitale de la musique depuis de longues années, et qui travaille aussi bien avec des artistes qu’avec des entreprises :

 

 tweet daniel kaplan

 

Comprenez : « A un moment donné il faut réaliser que la source de revenu principale d’un artiste n’est pas la vente physique. Réveillez-vous »

Je pense que c’est juste. Il y a de nombreuses façons pour un musicien de gagner de l’argent en 2013 : de plus en plus de sources de revenus (voici une liste de 42 façons de gagner de l’argent en tant que musicien indépendant, établie par the Future of Music Coalition) ; plus de demande sur les plateformes digitales et les réseaux sociaux, plus d’activités qui vous prennent du temps au lieu de faire de la musique.

C’est beaucoup de travail. Et c’est n’est pas le cas seulement pour les musiciens. C’est sans doute encore plus de travail d’être journaliste freelance en 2013 : plus de sources de revenus, plus de demande sur les plateformes digitales et les réseaux sociaux etc… C’est stimulant, parce que les barrières tombent dans beaucoup de domaines intéressants, mais c’est beaucoup de travail.

Et c’est pourquoi il ne faut pas considérer ceux qui critiquent Spotify comme des personnes qui refusent le progrès, qui ne veulent pas s’adapter à la disruption digitale, et qui ne font que le minimum pour « survivre ». Beaucoup d’artistes se donnent les moyens de réussir, engageant leurs fans sur Twitter et Facebook, se mettant sur Bandcamp et autres distributeurs digitaux, créant des campagnes de crowdfunding, utilisant YouTube, créant leurs sites web…

Pas ceux qui refusent le progrès. Certains d’entre eux sont pro Spotify et pro streaming. D’autres y sont très opposés. La plupart sont partagés entre les deux, essayant comme nous de comprendre l’impact sur le long terme du changement de la propriété vers l’accès, sur la façon dont les gens trouvent, écoutent, partagent et achètent de la musique.

 

radiohead spotify

 

Ce qui nous ramène à la question centrale : Comment le streaming peut-il aider les nouveaux artistes à gagner leur vie ? Pink Floyd et Jay-Z vont s’en sortir. Les Eagles ne vont pas faire d’insomnie à cause de leur relevé bancaire. Ils vont tous très bien.

Comment Spotify peut-il s’assurer que les prochains Pink Floyd et Jay-Z n’abandonnent pas avant même d’avoir enregistré leurs « The Piper at the Gates of Dawn » ou « Reasonable Doubt » ? Comment les services de streaming peuvent-ils non seulement trouver une audience pour de nouveaux artistes, mais également les aider à trouver des sources de revenues accessibles ?

En tant qu’artiste avec 500-1000 fans, qu’en pensez-vous si Spotify vous mettait en avant et vous exposait à 10 000 ou 100 000 personnes dont les habitudes d’écoute indiquent qu’ils vous seraient susceptible de vous aimer?

Plus de visibilité,  plus d’opportunités de sources de revenu, surtout si les services de streaming partagent (anonymement bien sûr) avec les artistes les données récoltées sur les utilisateurs, pour les aider à organiser leur tournée par exemple.

Mais à mon avis la meilleure façon dont les services de streaming peuvent aider les artistes à gagner leur vie est d’aller plus loin et de connecter les explorateurs de musique les uns avec les autres, et leur faire dépenser de l’argent pour l’artiste, mais ailleurs.

C’est déjà le cas : Le nouvel onglet « Découverte » de Spotify me dit souvent si un groupe que j’ai déjà écouté passe dans ma région, via Songkick. Mais il y encore de très nombreuses possibilités inexploitées de création d’outils pour les artistes pour qu’ils vendent leurs produits.

Et si chaque utilisateur vous ayant écouté sur Spotify pouvait voir vos prochaines dates et lieux de concert, ou si vous vendiez un pack exclusif sur Bandcamp, un mix sur Beatport, un t-shirt en édition limitée etc… ? Et si un service de streaming redirigeait chaque personne qui vous a écouté vers la campagne Kickstarter qui financera votre prochain album ?

Et si Spotify (et Deezer, et Rdio, et le reste) devenait bien meilleur et servait d’entonnoir pour rediriger vers toutes vos autres sources de revenu ? Mais continuait à vous payer pour chaque écoute ?

 

Virginie Berger Don't believe the Hype

 

Cela va arriver. Le fabricant de casques audio Beats va lancer son service « Daisy » cette année, avec cette intention de diriger les fans vers vos sources de revenu, en collaboration avec Topspin. Bob Moczydlowsky (Topspin), expliquait en Janvier :

« Notre objectif est de créer un standard du comment les services musicaux pour consommateurs peuvent profiter aux artistes. Voici un exemple : Lorsque Trent Reznor utilise Topspin pour distribuer de la musique et du merchandising sur son site web, ses produits devraient apparaitre sur les plateformes de streaming, où les millions de fans qui l’écoutent devraient pouvoir se connecter avec lui et être informés de ses nouvelles sorties de musique, merchandising ou encore ses dates de tournées. L’essence de ce partenariat est la conviction commune que les services de streaming devraient faire un meilleur travail pour aider les fans à découvrir des artistes et se connecter avec eux pour acheter directement du merch, des billets de concerts et autres produits. »

Et il n’y aura certainement pas que Daisy. Tous les services de streaming pourraient et devraient avoir la même vision. Ils vont surement tous s’y mettre, et le débat de cette semaine va peut-être hâter les choses.

 

Don't believe the Hype Virginie Berger

En ce sens, les tweets de Nigel Godrich ont été importants, et ont été moins négatif pour l’image de Spotify qu’une opportunité pour tous les services de streaming de réaliser que leur travail doit prendre une direction légèrement différente dans les mois et les années qui viennent.

Le seul point où je ne suis pas d’accord avec lui, c’est lorsqu’il dit « C’est aux services de streaming de revenir avec une meilleure solution pour soutenir les nouveaux artistes […] Ce n’est pas à nous de réfléchir à comment cela pourrait marcher, c’est votre job. »

En réalité, j’ai l’impression qu’il est plus important que jamais pour les artistes de se positionner et justement de réfléchir à comment le streaming pourrait mieux les servir. Ils doivent travailler directement avec les services digitaux plutôt que de laisser les labels et éditeurs s’en charger.

 

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

10 comments

Un artiste indépendant cherchant à se faire connaitre serait stupide de ne pas mettre sa musique à disposition sur Spotify/Deezer/autres plateformes de streaming… Simplement parce que c’est un moyen de la faire entendre à de nouveaux auditeurs et potentiels nouveaux fans !
Mais aussi parce qu’aujourd’hui c’est très simple de mettre sa musique à disposition et de rentabiliser en quelques trimestres les frais de mise en ligne (en réalisant bien entendu un peu de com sur les réseaux sociaux). Et que quelques euros dans la poche de l’artiste, ça a toujours du bon…

En revanche, je n’ai pas honte de dire que Spotify/Deezer reste plutôt malhonnête dans leur formule de reversement après écoute des titres…
Déjà car il est compliqué de comprendre pourquoi certains titres rapportent plus d’argent que d’autres après une écoute ; cela est peut-être lié à une écoute complète ou pas, mais rien ne le précise. Ensuite, faudra aussi expliquer pourquoi certaines plateformes de streaming versent plus d’argent que d’autres pour une écoute, d’ailleurs je précise que Spotify est le moins bon payeur de la bande… Et soyons honnête, le prix reversé pour une écoute est tellement dérisoire qu’on peut comprendre que des artistes indépendants songent à ne pas proposer leur musique. C’est sur qu’à moins d’être une star internationale, il est impossible de vivre des revenus Spotify !!

Je suis totalement d’accord sur le principe de relier toutes les plateformes avec les autres services de vente de produits dérivés, musicaux et autres… C’est effectivement la meilleure solution pour combler la “radinerie” de Spotify 😉
Mais là aussi c’est très compliqué, car nous pouvons réfléchir à des solutions, les imaginer, les proposer mais impossible pour nous de les intégrer à ces plateformes car tout la partie code est protégée. Si nous voulons nous diriger vers cette solution, il faudra que les plateformes mettent la main à la patte pour éditer ces plugins additionnels permettant de lier par exemple une fiche artiste à son compte Facebook/Bancamp/etc.
Et si elles acceptent de le faire, je doute qu’elles le fassent sans contrepartie…
Alors quelles en seront les conditions d’utilisation ? Je pense bien entendu au tarif de mise à disposition… On retombe trop souvent sur des frais supplémentaires que l’artiste indépendant ne peut pas toujours se permettre… Au finale en additionnant le tout, la note pourrait encore être salée pour les indépendants…

Merci pour cet article. Moi, je pense surtout aux artistes indépendants qui méritent d’être encouragés et de trouver des facilités pour leur propre promotion.

Le seul point où je ne suis pas d’accord avec lui, c’est lorsqu’il dit « C’est aux services de streaming de revenir avec une meilleure solution pour soutenir les nouveaux artistes […] Ce n’est pas à nous de réfléchir à comment cela pourrait marcher, c’est votre job. »

Moi je suis particulièrement d’accord avec lui. Les musiciens font de la musique. Les indépendants n’existent pas, voir le cas K.Flay, elle a du monde derrière elle.

Maintenant si le niveau baisse parce que faire de la musique ne se suffit pas en soi, parce qu’il faut devenir une entreprise à soi tout seul, alors faisons tous des tracks à quatre temps, un peu groovy, qu’on écoute deux fois, alors là je serai peut être d’accord.

“The answer is capital, which is what Pandora and Spotify have and what they generate. These aren’t record companies– they don’t make records, or anything else; apparently not even income. They exist to attract speculative capital. And for those who have a claim to ownership of that capital, they are earning millions– in 2012, Pandora’s executives sold $63 million of personal stock in the company. Or as Spotify’s CEO Daniel Ek has put it, “The question of when we’ll be profitable actually feels irrelevant. Our focus is all on growth. That is priority one, two, three, four and five.”

Ce qui ressort de cet article c’est ce que je clame ici depuis des mois. Aussi dur que nous travaillons, aussi fort que nous y croyons, nous ne le faisons pas pour nous, ni pour le public, mais seulement pour des portefeuilles d’actionnaires.

Pour finir, rendez vous compte que le danger n’est pas pour les musiciens, de la musique on en fait depuis toujours, on en fera encore. Que le fruit de nos découvertes n’intéressent pas assez de monde pour rende cette activité rentable ne m’empêchera pas de dormir. Le danger existe pour ceux qui aiment la musique, l’écoute, la supporte. Car le risque que rien de très novateur n’arrive dans les oreilles du publique pointe franchement son nez. Aussi le combat de la partie créative/productive de cette industrie devrait être celui de ses consommateurs. D’ailleurs je trouve cela assez dingue qu’autant de gens qui ne produisent strictement rien, dont la simple pertinence devrait être remise en cause, aient autant de pouvoirs dans autant de domaines.

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