Napster & Megaupload, mêmes causes, mêmes effets (ou DAVDSI, ACTA, SOPA, PIPA, STALLMAN…)

Patrice Lazareff, que vous lisez régulièrement ici de la définition de l’ingénieur du son, en passant parBitcoin ou la neutralité du Net et aussi sur son site lazareff.co, revient ici sur la fermeture de Megaupload et se demande, même s’il considère que la cause Megaupload est difficile à défendre, comment évoluer sur ces différents sujets.


Douze ans après Napster, c’est au tour de Megaupload de subir les foudres de la justice américaine, toujours au nom du droit d’auteur. Les deux entreprises présentent en effet les mêmes faiblesses d’un point de vue tant technique que juridique, et les démarches qui ont conduit à la chute de la première et entraîneront peut-être celle de la seconde révèlent en creux les mêmes échecs des producteurs et des pouvoirs publics. Tant d’années ont passé, et personne ne semble avoir appris quoi que ce soit.

Napster & Megaupload, bibliothèques d’Alexandrie numériques

Les deux entreprises doivent être mises en parallèle sur le plan technique dans la mesure où l’une et l’autre reposaient sur un modèle centralisé. Napster disposait d’un serveur central qui permettait de retrouver un fichier tandis que Megaupload stockait directement le fichier. Dans un cas comme dans l’autre, couper la tête du réseau permet son interruption immédiate.

Cette possibilité d’interrompre tout un réseau de communication en détruisant un seul point névralgique est précisément ce qui a poussé les militaires américains à commander la mise au point de ce qui est aujourd’hui devenu internet. À l’époque, le milieu des années 1960, l’hypothèse que les soviétiques détruisent ou occupent l’Europe occidentale aurait permis à ces derniers de porter un coup fatal aux télécommunications mondiales. C’est pourquoi, vouloir centraliser l’information constitue une vulnérabilité certaine, l’affaire Megaupload n’est qu’une nouvelle illustration de ce principe, pourtant déjà connu depuis des siècles avec la perte de la totalité du savoir humain rassemblée dans la bibiothèque d’Alexandrie et dont on perd toute trace en 642 après JC.

L’échec de Megaupload est donc comme celui de Naspter fondé en premier lieu sur l’inadéquation de la solution technique retenue. À l’inverse, force est de constater par exemple l’impossibilité de bloquer The Pirate Bay qui repose sur l’échange de fichiers en Bittorrent, un véritable P2P, et est en train de se défaire de la nécessité d’un serveur central en ne stockant plus (ou de moins en moins) de fichiers torrent pour les remplacer par des liens magnétiques. Ainsi, en cas d’interruption du site lui-même, sa réapparition ailleurs sera instantanée car la quantité de données qu’il contient est très faible et peut être reproduite aisément comme cela s’est produit lors de l’immense soutien international à Wikileaks. De plus, sa présence n’est pas nécessaire aux échanges qui ne peuvent donc être ainsi interrompus.

Il convient également de rappeler au passage les progrès faits par le logiciel libre et open source Tomahawk, qui permet le streaming en P2P, uniquement en audio pour l’instant, mais avec l’extension de la fibre optique, il y a fort à parier que la vidéo suivra bientôt. Lorsque ce type de mécanisme sera, grâce à l’action en cours contre Megaupload, devenu la norme adoptée massivement par les internautes, alors l’industrie culturelle n’aura d’autre choix que de vouloir réaliser les prévisions de Cory Doctorow en faisant interdire la détention par les particuliers d’ordinateurs tels que nous les connaissons aujourd’hui. Cet avenir est sombre et il faudra tout faire pour qu’il n’advienne jamais.

Napster & Megaupload, l’échec en creux des autorités

Au plan du combat qui a été et est mené contre les deux entreprises, les situations sont, à l’inverse du plan technique, radicalement opposées. Napster était une nouveauté totale et la réaction qui lui a été opposée se fondait exclusivement sur les principes. Ce qui était reproché à Naspter en définitive était le simple fait d’exister.

Avec Megaupload, il en va bien différemment. Ce qui dérange ici, et c’est une première, c’est un modèle économique qui fonctionne trop bien. En cinq ans, et selon l’acte d’accusation, ce sont près de deux cents millions de dollars qui auraient été récoltés. Mais alors, pourquoi est-ce que l’industrie culturelle elle-même n’utilise pas ce modèle ? Pourquoi n’en est-elle pas à l’origine ? On sait que des négociations avaient été entamées avec Universal en 2010, faut-il déduire de cette action qu’elle suit l’échec des pourparlers ? S’agit-il de l’élimination d’un concurrent gênant ?

Constater le succès de Megaupload au point de vouloir l’interdire implique également de s’interroger sur les raisons d’un tel succès. Ici, la réponse est simple et se résume en quelques acronymes tels que DMCA, DAVDSI, HADOPI, et plus récemment ACTA, SOPA et PIPA. À force de criminaliser les échanges entre particuliers, ceux-ci se sont détournés des réseaux P2P pour faire la fortune des sites de type Megaupload. Cela montre bien une fois encore que les soi-disant “pirates” voués aux gémonies depuis des années par la “pédagogie” des lobbies et de certains gouvernants, ne sont au final que des clients potentiels toujours en quête d’une offre commerciale simple dans sa mise en œuvre et réaliste dans sa tarification.

Si la cause de Megaupload semble difficile à défendre, l’action menée aujourd’hui témoigne une fois encore de l’incapacité de l’industrie culturelle et du droit d’auteur dans sa forme actuelle à répondre aux attentes de deux milliards de consommateurs. L’histoire des quinze dernières années à bien montré qu’en l’absence de propositions intelligentes de la part des acteurs du secteur, les internautes prennent les choses en main et comme ce fut le cas pour Naspter, tuer Megaupload ne servira qu’à faire émerger de nouveaux mécanismes, juridiquement inattaquables, cryptés, décentralisés et assurant l’anonymat des utilisateurs.

La solution la plus extrême consistera s’il faut en arriver là, à fabriquer des PirateBox, énergétiquement autonomes et qui se relieront les unes aux autres en direct dans des réseau maillés. Les outils et les techniques existent déjà, et sont parfois même financés copieusement par les autorités de certains pays, au nom de la démocratie dont ils sont un vecteur incontournable. On ne peut pas à la fois se réjouir des “révolutions-twitter” ou autres “printemps-facebook” et se plaindre des effets secondaires des techniques mises en œuvre.

Seule l’adaptation du droit d’auteur permettra de sortir de l’impasse et de monétiser les échanges au lieu de priver les artistes de ressources auxquels tous sont manifestement prêts à contribuer. Combien de temps faudra-t-il encore perdre ?

La loi le prévoit déjà

Un rappel important pour terminer : en France, l’article 52 de la loi n° 2006-961 du 1 août 2006 relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information dite DAVDSI, dispose que :

“Le Gouvernement présente au Parlement un rapport sur la mise en oeuvre de l’ensemble des dispositions de la présente loi dans les dix-huit mois suivant sa promulgation. Ce rapport comporte un chapitre spécifique sur les conditions de mise en place d’une plate-forme publique de téléchargement permettant à tout créateur vivant, qui se trouve absent de l’offre commerciale en ligne, de mettre ses oeuvres ou ses interprétations à la disposition du public et d’en obtenir une juste rémunération.”

À ce jour, ce rapport est encore à écrire. On commence quand ?

1. Il s’agit de la vidéo originale en anglais, pour un résumé en français, voir Stallman avait malheureusement raison depuis le début sur Framablog

Vous pouvez retrouver cet article sur le site de Patrice Lazareff ici: http://www.lazareff.com/blog/2012/01/20/napster-megaupload-m%C3%AAmes-causes-m%C3%AAmes-effets.html

Illustration photo: “We want more”

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About Patrice Lazareff

Patrice Lazareff est ingénieur du son de formation et a pratiqué ce métier pendant plus de 20 ans. Il est également developpeur web et licencié en droit (Paris I Panthéon-Sorbonne). Ce mélange des genres l'a conduit à intervenir sur les différentes problématiques actuelles du marché de la musique, fort de son expertise technique et sur laquelle reposent les points de vue exprimés. Son site web http://www.lazareff.com/

2 comments

C’est un point de vue qui se développe à partir d’un parti pris. Il est très facile de défendre MU quand il offre à des millions d’utilisateurs la gratuité totale de la musique et des films, seulement les problèmes que cela soulève ne doivent pas occulter le fait que les mêmes acteurs qui créent ces nouveaux services doivent apporter une solution aux problèmes, notamment de droits d’auteurs, car sans contenu MU n’est qu’une coquille vide et n’intéresse personne.
MU ne crée donc aucune valeur, aucune richesse en soit sauf celle de ses actionnaires ! Déshabiller Paul pour habiller Jacques n’a aucun sens. L’utilisation même indirecte des oeuvres créées pour un enrichissement personnel ne devrait pas être cautionné.
Des milliers d’entreprises travaillent dur pour trouver des solutions qui apportent autant aux utilisateurs qu’aux créateurs de contenus, en toute légalité, mais l’exercice est bien plus compliqué que d’ouvrir des serveurs à tous vents et de faire comme si de rien n’était, pendant qu’on encaisse les revenus de la publicité.
Même si Universal notamment est entré en discussions avec MU, le fait que cela n’aboutisse pas ne veut pas dire que l’industrie a échoué, mais plutôt que la volonté de MU à faire du business propre avec les ayants-droits était très limitée. Visiblement les neard et geeks qui s’enrichissent et se paient des cadillac rose, des villas sur-dimensionnées et des call-girls ne sont pas prêts à reversé les revenus à qui de droit. Il est donc tout à fait normal et sain que ces gens soient poursuivis.
C’est le point de vue d’un producteur, manager d’artiste et entrepreneur qui paie les droits, redevances, taxes et autres prestations y-compris prestations des sociétés ou freelance du web.
Le modèle économique de MU n’a rien apporté, sauf un enrichissement personnel au détriment des créateurs. Je suis pour une diffusion gratuite et illimité des oeuvres auprès du public, mais l’internet et les société qui utilisent directement ou indirectement les contenus doivent impérativement reverser aux ayant-droits une partie des revenus. La radio, la télévision, les discothèques, salles de concerts, organisateurs, magasins qui diffusent des oeuvres paient des redevances sans pour autant que cela ne remette en question leur viabilité, alors pourquoi internet n’en serait pas capable ? Il faut que l’ensemble des acteurs des différentes industries convergent vers des accords et jusqu’à présent, les FAI, les moteurs de recherche et plateformes n’ont pas joué le jeu. Lorsque la monétisation atteindra des niveaux de revenus suffisants pour les créateurs de contenus on pourra alors parler de maturité du web, mais il ne faut oublier que l’industrie de la musique a été la première à être abondamment piratée, à avoir pris de plein fouet l’évolution internet et que les lois auxquelles elle est soumise freine l’adaptation face à des entités qui elles revendiquent une zone de non-droit.

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