Petit manifeste d’un groupe en développement sur la situation actuelle de la musique

J’ai déjà accueilli les Twins sur mon site à son démarrage. Je leur avais demandé s’ils accepteraient d’être le premier groupe que je diffuserai sur mon site. En effet, dans le cadre de mon partenariat avec Noomiz, toutes les semaines je diffuse un groupe que j’ai découvert sur le site. Et j’avoue avoir complètement craqué sur les Twins.

Et puis, j’ai bu un verre avec eux un soir. Et je me suis retrouvée face à 3 enfants (enfant n’est pas un terme négatif dans ma bouche, je suis simplement une plus vieille dame), avec une culture musicale hallucinante, une foi, une motivation et un discours extrêmement fort. Je pensais être une des rares à écouter les Black Keys depuis dix ans et à vouer un culte à leurs albums enregistrés chez Fat Possum Records. Et non. Ils les connaissaient. Les vénéraient aussi. Ils avaient 13 ans il y a dix ans….

On a beaucoup parlé de leurs difficultés, des blocages, de leurs doutes, questions…et ils en sont arrivés à ce texte. Leur vision de la musique. De la création. La vision de quatre artistes qui ne vivent que pour ça. Alors vous pourrez trouver ça certainement grandiloquent, plein de references culturelles, d’avis péremptoires et de parti pris….

Mais rappelez que ces Twins ont 23 ans, qu’ils jouent depuis plus de 10 ans, qu’ils sont de langue maternelle et de culture anglo-saxonne, qu’ils sont complétement dévoués à la musique et qu’ils ont les “cojones” de l’affirmer. Et ça, les “cojones”, c’est devenu trop rare pour ne pas être soutenu.


Le moment historique de la production musicale que nous vivons rend nécessaire le rappel de deux préalables, avant de tenter la moindre explication de démarche.

Nous pensons tout d’abord qu’il faut défaire le mythe du supposé « talent créatif ».
Il tend à faire croire à la créativité naturelle de certains, telle un don du hasard ou de la providence. L’apanage de quelques « heureux élus ».

Nous pensons que la création se construit, mieux, se poursuit.

Jacques Brel disait, d’une façon un peu péremptoire « le Talent, ça n’existe pas »

Certainement fort de sa propre expérience, il savait, lui, que rien dans ce qu’il était devenu ne tenait d’un quelconque don, mais bien de son travail. Il ajoutait « le vrai Talent, c’est d’avoir l’envie ».

Ce mythe du naturel créatif est la mauvaise fée de l’artiste qui n’a alors que deux alternatives : s’il croit en avoir, rien ne l’empêcherait (et hélas trop souvent, ne l’empêchera) d’être complaisant et paresseux envers tout ce qu’il produit. S’il croit ne pas en avoir, tout ce qu’il entreprendra sera voué à l’échec.

Paralysie dans un cas comme dans l’autre…

Nous pensons ensuite devoir combattre un certain relativisme culturel. Chacun a certes le droit d’aimer ce qu’il veut. Mais tout ne se vaut pas, et la qualité d’une œuvre musicale ne procède pas du fait qu’elle plaise. Contrairement à ce que dit une couverture d’Elvis Presley, « fifty million people can be wrong ».

Croire le contraire pose problème d’un point de vue créatif, car avant d’écrire de la bonne musique il faut en écouter. Beaucoup.

Ce qui implique d’admettre qu’il y a un tri à faire.

Cette vigilance est plus nécessaire encore dans la sphère de la musique populaire, qui par essence est la musique des grands nombres, et dont les décideurs n’ont que trop souvent invoqué le mass appeal pour vendre le pire.

Nous y reviendrons.

Nous sommes un jeune groupe de rock n’ roll. Nous sommes parfaitement conscients qu’il en existe des milliers, et sans doute comme beaucoup, nous vivons pour la musique. Par opposition à certains qui, de façon plus ou moins consciente, vivent par la musique uniquement.

La musique est pour nous l’ultime réalisation personnelle.

Nous aspirons à un idéal de beauté musicale, espérant retrouver les émotions, les impressions, les étonnements qu’elle a provoqué tout au long de notre vie, et, si possible, les cristalliser en une production qui provoquerait la même chose chez d’autres.

Notre groupe, The Twins, c’est la convergence de quatre individus qui ont choisi cette activité comme valable par dessus-tout, poussés par le même amour de la musique.

Nous nous y consacrons corps et âme, nous y mettons tout, nous ne faisons pas ça gratuitement.

Sans prétendre y être ni même forcément y arriver un jour, nous n’avons pas d’autre aspiration.

Nous pensons ainsi qu’à l’inverse, beaucoup de groupes aujourd’hui souffrent d’un bien mauvais syndrome: plagiant leurs idoles, ils s’engagent trop souvent dans la musique pour le clinquant, pour l’apparat, somme toute pour « la vie qui va avec ». Des artistes « au second degré ».

Nous affirmons qu’ils font cela gratuitement.

Or, comme dit Céline « ce qui est fait gratuitement pue la gratuité ». La puanteur devenant pestilence, nous déplorons le triomphe de la musique la plus gratuite qui se vend à prix d’or, pour le plus grand bonheur des « professionnels de la profession ». Ou plutôt, se vendait.

Car, comme chacun le sait, une crise profonde frappe l’industrie du disque. A entendre les discours officiels, elle pénaliserait la création même. Car industrie et création seraient impossibles à dissocier.

Pourtant, l’industrie culturelle telle que théorisée par Théodor Adorno et Max Horkeimer (avant que la notion ne soit reprise et transformée) désignait la restructuration par le capital, en une industrie, de toutes les étapes de la production d’œuvres dans le but d’aboutir à un produit formaté pour la consommation facile par les masses.

Ce qui s’oppose à  l’idée, chère aux « avocats de la chose », que l’industrie serait simplement l’existence de canaux de diffusion, de promotion et de vente d’une musique qui ne serait pas polluée à sa source.

La consommation étant érigée comme seul but, avec l’assurance d’une puissance économique démesurée, cette musique devient essentiellement l’antithèse de la musique populaire, celle qui est l’expression libre et spontanée émanant des masses elles-mêmes.

Pour preuve, l’âge d’or de l’industrie musicale que permit l’invention du disque compact fut en même temps et dans le même mouvement une période noire pour la création musicale : les majors réalisaient que la qualité artistique d’un produit n’était plus un facteur déterminant de sa réussite commerciale.

La conséquence, c’est-à-dire la vente était devenue prioritaire au travail artistique.

Avant l’industrie culturelle, bien sûr que les artistes vendaient leurs œuvres, seulement, cette vente n’était pas l’objectif qui structurait le processus de production, elle était une conséquence du travail de l’artiste qui considérait d’abord et avant tout l’objet de sa création.

L’accompagnement de cette création véritable, longue, coûteuse et sans garanties commerciales devint superflu. L’industrie, qui jusqu’alors, avait besoin de se greffer sur une œuvre existante comme un parasite dépendant de l’art populaire, délaissa son hôte en lambeaux, pouvant désormais fonctionner en cannibale sur sa mécanique interne et régurgiter à loisir des morceaux entiers de sa propre chair.

Résultat : l’avènement des Boys Band et des singles à 30 francs en supermarché.

Vingt ans plus tard, les mêmes fossoyeurs de la musique qui inondent le marché de leurs artistes falsifiés crient au scandale et s’indignent du manque de considération dont le public fait preuve en téléchargeant leurs produits gratuitement et illégalement.

Quels autres égards méritent-ils ?

Pire encore, pour résister à la piraterie, on supprime, coupe, limoge tout ce qui n’est pas source assurée de profits immédiats.

Exit le développement d’artistes, la prise de risque, le pari sur le long terme, sous prétexte que seule la merde vend.

Que la foule a nécessairement mauvais goût. Ceux-là même qui, ces dernières années, n’ont eu de cesse que d’étouffer dans l’œuf les tentatives honnêtes de musiciens éclairés pour les remplacer par des hordes d’ersatz sans âme, ceux-là qui n’ont même plus un lointain souvenir de la branche tronçonnée sur laquelle ils étaient assis, ceux-là se dédouanent en vous assurant que la masse n’aime que ce qui est mauvais.

Qu’ils étaient à ses ordres.

Qu’ils donnaient aux gens ce qu’ils voulaient entendre.

Ce n’est pas vrai, et même si ça l’était, ça ne les rendrait pas moins responsables de la dépréciation profonde que subit la chanson populaire aux yeux du public.

Cela rend d’autant plus pathétique leurs couinements indignés.

Jusque dans les années 90 les artistes les plus intègres et volontaires arrivaient encore à négocier un compromis entre leurs ambitions de création et les nécessités diverses de diffusion marchande. Les maisons de disques ont porté le coup de grâce à cet arrangement précaire et déjà, minoritaire.

Or ce que l’on constate, c’est que le rapport de force s’est inversé. Les labels ne sont plus prescripteurs, il y a nécessité de ne plus parier sur la passivité complice du public comme ils le faisaient à l’époque de leur main mise sur le marché. Beaucoup paient très cher leur cynisme d’alors.

Si les majors veulent que le public soit prêt à payer pour leurs artistes, il est urgent qu’ils rétablissent une approche qualitative de la musique. Les créateurs ne s’en plaindraient pas.

Ce à quoi aspire notre groupe, et tout artiste digne de ce nom, c’est qu’on le laisse vivre POUR son art. Qu’il n’aie à se soucier de rien d’autre, qu’il puisse avoir le temps de créer de manière sereine, de s’y consacrer pleinement et dans de bonnes conditions, sans se préoccuper constamment de sa survie.

Ce qui implique de vivre PAR sa pratique. Ce qu’une maison de disque pourrait permettre. Les labels pourraient être des mécènes qui attendent un retour sur investissement. Ils pourraient, comme certains le font encore, accompagner sans faillir, diffuser sans trahir.

Rétablir une production de qualité, œuvrer pour le rapprochement de l’artiste et du public.

Hélas, l’industrie peut tout aussi bien servir une soupe toujours plus frelatée, devenir plus frileuse encore dans la découverte de nouveaux groupes, multiplier les pansements sur l’hémorragie financière, ne penser qu’à court terme et produire des simulacres d’artistes toujours plus élaborés.

Les conditions actuelles forcent l’industrie à un choix des plus cruciaux. Il s’agit de savoir si elle veut renouer ou s’amputer pour toujours de la raison, de la condition-même de son existence, la musique populaire.

Quel que soit le chemin qu’elle prendra, nous savons qu’un géant sans pieds ne marche pas.

Et nous n’attendrons pas sa chute.

Vous pouvez retrouver les twins sur Noomiz , sur Facebook et sur MySpace.

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About The Twins

Les Twins ont 23 ans en moyenne, et sont tous les quatre d’origine anglo-saxonne. Ces fils d’expatriés, vivant à Paris s’initient au rock dès le collège, et leur connaissance de la Chose est quasi-obsessive. Leur claim, “We like good music, we hate bad music”. Sur Noomiz www.noomiz.com/thetwins

9 comments

BAAAAAAAAAAAAAAAAAAM!!
Bravo à vous pour ce manifeste. Je me retrouve beaucoup dans vos mots, pensées, envies. Respect.

“Vingt ans plus tard, les mêmes fossoyeurs de la musique qui inondent le marché de leurs artistes falsifiés crient au scandale et s’indignent du manque de considération dont le public fait preuve en téléchargeant leurs produits gratuitement et illégalement.”
C’est un peu long pour une épitaphe (sic), mais c’est trop (vrai !) bon ! Ca fait toujours du bien de l’entendre.

Je relis l’article, et … vous ne parlez pas des salles. C’est volontaire ?
Elles sont, de facto, liées à l’industrie comme l’un des derniers maillons de la chaine, ou est-ce à dessein qu’elles sont zappées ?

Hey Romain,
On désigne l’industrie au sens large, même si l’on nomme les labels.
Le problème c’est que ce sont les maisons de disques qui font la loi (et surtout le marché) et pas les salles de concert. Le pouvoir de la salle se limite à programmer ou non. Et elles bossent la plupart du temps en connivence avec les labels, elles font partie de leur réseau. Elles se contentent souvent paresseusement d’être un outil de plus à la promotion d’artistes en place plutôt que d’être de réels lieux de découverte, rentabilité oblige.

C’est évidemment critiquable, mais pour citer Guillon, on ne remercie pas les sous-fifres 🙂

C’est bien ce qu’il me semblait. Elles font donc partie de la grande équation “l’industrie du disque”.
Réalité absolument fabuleuses quand elles sont publiques.

(Oui, j’arrive en retard, désolé pour ça)
(Oui, en plus, je ponds une tartine super longue, désolé pour ça aussi)

Je trouve le manifeste un peu confus mais ça vient pas forcément de vous, c’est ptet moi qui ai pas tout compris :
1. En gros, ce que vous appelez “l’industrie” (maisons de disques, labels) fait n’importe quoi (ça je veux bien le croire)
2. Du coup, vous exigez/espérez qu’elle se ressaisisse…

Si c’est que ça, bonne nouvelle !
Les punks américains sont déjà passés par là au début des ’80 :
Puisque l’industrie de l’époque ne les prenait pas en compte, ils ont inventé leur propre bac à sable (des labels à eux, des locaux alternatifs pour faire des concerts quand ils trouvaient pas de salles, etc.) et ça leur a permis d’avoir le peu d’air qu’on leur refusait ailleurs

Alors, oui, maintenant, ils sont ptet pas tous riches, ils en ont sûrement bavé et ça s’est mal fini pour certains d’entre eux, mais au moins ils ont fait exister leur musique sans être tributaires des humeurs capricieuses de “l’industrie” 🙂

(pour ceux que ça intéresse, je vous invite à lire ‘Our band could be your life” de Michael Azerrad qui documente assez bien cette époque)

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