“Non, les radios ne passent pas que des titres de majors, elles passent les titres qui correspondent à un besoin qu’elles ont”

Grande joie que de recevoir Alex Greep. Déjà quasi 10 ans qu’on se connait. Qu’on se suit, qu’on travaille ensemble. Je l’ai vu à l’oeuvre alors qu’il était responsable promo d’une major, il ne lâchait rien. Même à 4 heures du matin…Il a accepté de répondre à quelques questions sur “Dis c’est quoi la promo”. Bien sûr, il y aura plein d’autres billets sur le sujet, car plein de manière d’envisager et de faire de la promo. Mais avec 15 ans d’expérience, des passages par des petites maisons de disques, des grosses maisons de disques, et maintenant indépendant, il a quelques petites choses à dire sur le sujet…

– Tu as été responsable de la promo radio en label indépendant comme en major, peux tu expliquer clairement quel est ton rôle au quotidien?


Le rôle de la promo au, quotidien est d’être l’interface entre le label et les médias, s’assurer que les infos sont bien données aux bonnes personnes mais également analyser et transmettre le feedback des médias sur les titres, les artistes qui leur ont été présentés.

La promo n’est pas là pour aimer les chansons qu’on lui demande de defendre, elle est là pour trouver les meilleurs moyens de faire connaître un titre au public, et lui donner ainsi l’envie de l’acheter”

Evidemment, c’est aussi le rôle de la promo que de penser, en travaillant étroitement avec le marketing, la politique de lancement d’un album. Pour moi, ça passait notamment par ces questions :

Qui est l’artiste, quel est son univers ? quel public cherche t’on à toucher ? quel media nous permettra de toucher ce public ? Répondre à ces questions me permettait de définir une stratégie et d’imaginer à chaque fois deux scénarios :

1) scénario idéal : le titre est plébiscité par les médias, et là, tout va bien, les radios et tv jouent le jeu à fond

2) scénario catastrophique : le titre ne reçoit pas l’accueil escompté, il faut donc trouver d’autres solutions.

Si on a déjà imaginé ces deux cas possibles, on est encore dans l’action et plus seulement la réaction, c’est à dire qu’on a encore une certaine maitrise sur la vie du titre. Tout cela ne peut se faire que s’il existe une parfaite entente entre le marketing, la promo et l’artistique.

Je dirai que le rôle de la promo est d’user de tous les moyens possibles pour faire passer son titre, de passer par la fenêtre quand on lui ferme la porte et de casser le mur lorsque la fenêtre est condamnée.

On a une obligation de moyens, et il faut pouvoir se dire lorsqu’on a échoué à faire entrer un titre : “oui, j’ai fait tout ce que je pouvais“. Après, cela arrive qu’on se soit planté et qu’un autre réussisse, mais si on fait son maximum et epuisé toutes les possibilités, on a pas à rougir de son échec ( à condition, bien sur, d’en tirer les leçons nécessaires).


– Crois tu avoir un impact véritable sur le choix d’un titre par une radio?


Cela revient à dire la promo est-elle nécessaire ?

On peut faire deux réponses, oui et non…mais globalement, je suis convaincu du rôle essentiel de la promo.

Un programmateur reçoit entre 10 et 20 titres par jour, peut-être plus. Si personne n’est là pour remettre sans cesse le single en haut de la pile, celui-ci se retrouve vite submergé par le nombre.

Mais encore une fois, le rôle de la promo se voit surtout lorsque les médias restent à convaincre. Si vous présentez un titre à un programmateur et que celui-ci vous dit “j’adore, je le rentre de suite”, c’est super mais on ne peut pas dire que votre rôle ait été déterminant…Par contre si au contraire vous vous faites jeter, mais que vous êtes persuadé que ce titre à toute sa place dans la playlist, alors là ça devient drôle.

Ca a été le cas notamment pour le titre “hey sexy wow” de Lord Kossity: l’accueil était loin d’être bon, mais nous étions tous persuadé d’avoir un énorme tube. Il a fallu revenir presque quotidiennement à la charge pour convaincre les programmateurs de jouer ce titre, qui, au final, à terminer 1er de l’airplay. Je crois que c’est Fun radio qui ont dégainé les premiers mais ensuite NRJ ne voulait pas suivre, il a fallu les convaincre de mettre le titre en test pour qu’enfin ils admettent que c’était un très très gros titre. C’est à force de venir tous les jours les voir pour les relancer qu’au final ils ont céder. Sans promo, ce titre passait à la trappe.


Cela a été également le cas pour Martin Solveig et le titre avec Lee Field “everybody” : Fun avait jouoté les titres précédents mais sans réel soutien, le programmateur de l’époque  n’était vraiment pas chaud pour le rentrer, notamment sous le pretexte “qu’il ne devait pas y avoir de guitare sur fun radio“, il avait même demandé une version sans guitare (nous n’avons pas répondu favorablement à cette suggestion…). Il a fallu alors trouver un moyen de contourner le programmateur, ce que nous avons fait grâce au soutien sans faille (et non démenti depuis) du service partenariat, Christophe Boccard et Benoit Fitoussi pour ne pas les nommer. Là encore, sans les liens tissés par la promo avec les différents service de Fun, le titre n’aurait peut-être pas pu exister.

– Les titres produits peuvent-ils être formaté spécialement pour une radio ou une passage radio?

Cela dépend des titres. Sur des titres dance-floor, c’est évidemment plus facile de pondre des remixes pour coller un peu plus à la couleur musicale de la radio. Sur des titres pop/rock, c’est peut être un peu moins simple, même si cela s’est déja vu avec de vrais succès. La question n’est pas de se dire “est ce bien ou mal de le faire”, l’important c’est que cela ait un sens : si artistiquement cela fonctionne, cela est cohérent alors il faut le faire. Il ne faut pas mentir au public, qui en définitive, reste seul juge de ce qu’ il aime ou pas.


– Une radio peut elle demander à ce qu’un titre soit justement formaté spécialement?


Qu’est que ça veut dire “formaté spécialement” ? De toute façon, encore une fois, on ne propose pas n’importe quoi à n’importe quelle radio. On ne pas transformer un titre rock en rap simplement pour passer sur skyrock, cela n’aurait aucun sens, aucun intérêt. Maintenant il peut arriver qu’une radio demande le reformatage d’un titre pour pouvoir le diffuser, soit parce que la version originale est trop longue et dans ce cas on l’édite (les sacro sainte 3mn !!!) soit on le remixe.

Comme je l’ai dit précédemment, si cela a du sens, pourquoi pas ? Le titre “Morenita”, extrait de la BO de la série “Un Dos Tres” avait de très bons tests sur Nrj, mais le programmateur ne trouvait le son de la version originale assez bon pour passer sur son antenne : on en fait un remix, le titre à terminé premier de la playlist d’Nrj. Etait-ce toucher à l’intégrité artistique du morceau ? Je ne crois pas, c’était simplement le rendre encore plus efficace.


– Un passage radio a t’il encore un impact sur les ventes?


Oui et non, on peut trouver quantité d’exemple où un titre a trouvé son public sans le soutien des radios (et heureusement, d’ailleurs !). Des tas de groupes parviennent à se faire connaitre sans passer par les radios nationales ou les gros réseaux régionaux. Le premier album des Louise Attaque en est la parfaite illustration.

Les musiques que l’on dit “de niche”, avec un public trop limité pour intéresser une grosse radio, trouve heureusement un espace où se faire connaitre, que ce soit la scène ou maintenant, internet. La presse peut, là aussi, jouer un rôle essentiel. Inversement et pour reprendre les exemples cités précédemment, des titres peuvent cartonner en radio et ne pas vendre la queue d’un album, ou tellement peu par rapport à leur airplay: Lord Kossity par ex, ou même, dans une moindre mesure, Martin Solveig.

Cela dit, c’est quand même plus simple pour vendre un disque d’être diffusé sur les ondes. En fait, c’est une étape, pas une fin en soi.

La diffusion radio ne sera réellement efficace que si elle s’inscrit dans un plan d’ensemble. Encore une fois, c’est la somme de toutes les compétences (artistiques, marketing, promo, commerciales, tourneur) qui permet à un artiste, un titre de trouver son public. L’artiste lui-même jouant un rôle essentiel au sein de ce dispositif.

– Sur les radios nationales, la playlist est vraiment très compacte, quelle autre moyen utilisiez vous pour faire vivre un titre qui ne passait pas en radio?


Pas simple, mais pas impossible : la scène, la presse, dans une moindre mesure quelques émissions tv  (les clips également) laissent aux artistes ne passant pas en radio un moyen de se faire connaitre. De même, dans une radio, il n’y a pas que la playlist : les émissions qui accueillent des invités sont aussi un moyen de mettre un premier pied en radio…Même si souvent, il faut être déjà joué sur la radio pour pouvoir participer à ces émissions. Là encore, c’est la promo qui pourra faire la différence, charge à elle de convaincre le programmateur, mais ensuite, c’est l’artiste lui-même qui devra assurer… Internet, bien sur, est aussi un formidable moyen d’expression pour un artiste, c’est un média majeur à condition de suivre quelques règles de base (que vous pouvez d’ailleurs retrouver sur cet excellent site !!! (NDLR j’ai pas payé hein).

Le public lui-même est aussi un vecteur important : qui n’a pas acheté un disque sans l’écouter simplement sur les recommandations d’un ami ? Les sites de fans, les blogs doivent être utilisés, un fan motivé peut faire un travail considérable (ça a été le cas sur des groupes comme tokyo hotel, par ex). La pub tv a aussi été longtemps un moyen efficace de faire connaitre un titre. Et en parlant de pub, la synchronisation d’une pub est un excellent moyen de faire connaitre une titre (par ex la musique de la pub “flower by kenzo”, Apple et Yael Naim…), ou bien encore la BO d’un film (“girl, you’ll be a woman soon” doit beaucoup à tarantino dans sa médiatisation).

– Peut on dire que sans passage radio, un titre est mort?


Là encore, deux réponses sont possibles. Cela dépend beaucoup du titre lui-même. Le titre peut il exister sans radio ? Est il soutenu par un album ? L’artiste peut il défendre cet album sur scène ? Si c’est un titre dance floor, la scène club peut elle suffire ? je ne crois pas que l’on puisse répondre de manière certaine à cette question, il ne faut pas faire de généralité, il n’y a que du cas par cas. Chaque titre est différent, chaque artiste aussi.

– Les radios ne passent elles que des titres de majors? Les radios sont elles vraiment starters?


Non, les radios ne passent pas que des titres de majors. elles passent les titres qui correspondent à un besoin qu’elles ont. Chaque titre a un rôle à jouer dans une playlist. Que ce titre soit chez une major ou un indé, à mon avis, ne rentre pas en ligne de compte, en tout cas j’aime à le croire. La différence peut éventuellement se jouer sur la capacité à soutenir ce titre par diverses opérations (cadeaux, campagne de pub, venue de l’artiste, rencontre avec les auditeurs…), une major ayant peut être plus de moyens financier qu’un indé pour le faire. Cela dit, est ce encore le cas aujourd’hui ?

– Comment vois tu l’évolution de la promo en maison de disques?

La promo reste avant tout une question de relationnel et de confiance. Il faut pouvoir dire au programmateur qu’un morceau n’est pas bon (à priori, il aussi une paire d’oreille et pourra s’en rendre compte par lui-même…). Si cette confiance existe, les relations labels / medias resteront bonnes : nous sommes complément l’un de l’autre, ce n’est pas une bataille, il n’y pas les gentilles maisons de disque d’un coté et les méchants médias de l’autre. Chacun a besoin de l’autre pour exister, ou faire exister ses artistes.La promo passera aussi par la recherche de nouveaux horizons : quelles passerelles imaginer, quels ponts construire entre le public et l’artiste ? En passant par une association avec des marques : échanges de visibilité, soutien de l’artiste par la marque, qui en retour, bénéficie de l’image de celui-ci…la promo est en perpétuelle evolution, elle doit s’adapter à l’air du temps, voir le devancer. A chaque artiste, il convient de se réinventer, en tenant compte des évolutions technologiques (l’arrivée de yacast à vraiment changé les relations avec les radios et tv (clips), plus récemment Bya a aussi ouvert plein de possibilité…

Mais une chose reste, à mes yeux, primordiale : bien connaitre ses médias.

Illustration photo: “We want more”

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About Virginie Berger

Virginie Berger est la fondatrice de DBTH (www.dbth.fr), agence spécialisée en stratégie et business développement notamment international pour les industries créatives (musique, TV, ciné, gastronomie), et les startups creative-tech. Elle est aussi l'auteur du livre sur "Musique et stratégies numériques" publié à l'Irma. Sur twitter: @virberg

8 comments

Pour travailler en radio, pas à la programmation mais pas loin, je confirme que l’édition des titres est devenu quasi obligatoire. A t’on réellement envie de se fader 5 refrains à la suite en fin de titre ? Une intro magistrale de 30 secondes avec trois mesures en boucles ? Certaines productions devraient vraiment faire attention à ce genre de détails avant de proposer aux radios leurs singles. Je reste aujourd’hui persuadé que les gens, au moins lorsqu’ils écoutent la radio, ne consomment plus la musique comme il y a dix ou quinze ans… C’est ce que la plupart des radios ne semblent… toujours pas avoir compris.

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