Le projet C32 ou l’art de décider à la place des créateurs…

Cet article a été écrit par Guillaume Deziel, manager de Misteur Valaire, groupe électro-pop-jazz-rock-hip hop québécois.

Je n’ai jamais caché que je m’occupe du développement de Misteur Valaire pour la France. Nous nous parlons donc beaucoup avec Guillaume.

Lors d’une de nos conversations quotidiennes, voire même bi-quotidiennes, Guillaume m’a parlé de ce projet de loi canadien, et de ses préoccupations concernant les conséquences que celui ci pourrait avoir sur les créateurs.

Je veux être très claire, Guillaume n’est en aucun cas opposé à l’évolution et à l’adaptation des créateurs aux usages induits par le digital. N’oublions pas que Misteur Valaire propose son album en téléchargement sur son site en pay what you want (“mettez le prix que vous souhaitez”) et que leurs titres sont en creative commons. Mais le propos de Misteur Valaire n’est ni militant, ni revendicatif. Ils le font parce qu’ils ont le choix. Et c’est ce que Guillaume reproche à ce projet de loi: le manque de choix. Guillaume dit que c’est aux créateurs de décider comment ils doivent et veulent disposer de leurs droits. Pas au reste du monde.


En juin dernier, le ministre de l’Industrie, Tony Clement, et le ministre du Patrimoine canadien, James Moore (celui qui ne connaissait pas Guy Laliberté, Félix Leclerc, Atom Egoyan, Jean-René Dufort, Robert Lepage et Céline Galipeau à Tout le monde en parle…), nous pondaient le projet de loi C-32 visant à revoir la loi canadienne sur le droit d’auteur. La loi actuelle permet entre autres aux créateurs d’être rémunérés lorsque leurs œuvres sont reproduites, présentées et communiquées au public.

Et voici en partie le projet de loi C-32, selon mon humble compréhension :

  • Il permettrait aux remixeurs de bricoler de nouvelles œuvres fondées sur des œuvres pré-existantes (Mash-up), tant que ça reste à but non-commercial;
  • Il permettrait à Monsieur-madame tout le monde de copier la musique des créateurs sur leur iPod, iPhone, disques durs et autres supports numériques, ce sans payer les créateurs pour la reproduction de leur musique;
  • Il empêcherait les photographes d’être payé pour la reproduction de leurs photos, si c’est fait dans un but non-commercial ou privé. Par exemple, mon photographe ne toucherait pas de droit sur la reproduction de la photo qu’il a prise de moi, lorsque j’en ferais copie sur mon profil Facebook;
  • Il permettrait à Monsieur-madame tout le monde d’enregistrer son émission télé ou radio préférée et en conserver copie jusqu’au visionnement complété (ce que tout le monde fait, de toute façon);
  • Il permettrait à Monsieur-madame tout le monde de faire une copie de sauvegarde de ses MP3, CD, cassettes, vinyles, 8 pistes, etc… ce dans leurs formats préférés;
  • Il permettrait une utilisation sans frais des œuvres à de fins «éducatives». Par exemple, les profs pourraient envoyer par courriel à leurs élèves une leçon ou un devoir qui inclue une œuvre protégée par le droit d’auteur, comme un MP3, une photo ou quelques paragraphes, voir la totalité d’un livre numérique, ce sans payer de droits au créateur. Les profs pourraient faire des photocopies (numérisations ou scans) qui seraient envoyées par courriel aux étudiants, plutôt que d’être imprimées et remises en main propre (on vient de sauver quelques arbres ici). Un prof de cinéma pourra prendre son vidéoclip préféré surYoutube et le montrer à ses étudiants sans frais, à moins qu’il soit clairement identifié à côté du vidéoclip qu’il en est interdit;
  • Il permettrait aux bibliothèques de prêter un livre numérique sans rémunérer le créateur, à la condition que le livre contienne un DRM (Digital Right Management ou verrou numérique empêchant la reproduction);
  • Il mettrait Monsieur-madame tout le monde dans le trouble, s’il tentait de contourner une mesure de protection d’une oeuvre (DRM) et exposerait les détracteurs à des amendes allant de 100$ à 5000$ pour des violations non-commerciales (exemple : téléchargement illégal ou transformation d’une chanson dans un format avec DRM en chansons sans DRM);
  • Il déclarerait les fournisseurs d’accès Internet (FAI) officiellement déresponsabilisés du contenu qui circule sur leur réseau. Cependant, les FAI seraient tenus de coopérer afin de permettre à un créateur violé d’aviser un utilisateur violeur du délit commis au sujet d’une œuvre en particulier.

Ça ne fait malheureusement pas le tour… je ne suis pas assez juriste pour vulgariser l’ensemble du projet de loi. Mais vous pouvez lire davantage à ce sujet sur cultureequitable.org, en lisant cet éclairant article intitulé C-32 pour les nuls ou, si vous vous sentez d’attaque, en épluchant le projet de loi C-32 du Gouvernement Harper.

Mon point de vue au sujet de ce projet de loi:

C’est bien tout ça…

sauf que je crois profondément qu’il revient aux créateurs de disposer de leurs droits – et non au Gouvernement Conservateur de M. Harper –. Il revient aux créateurs (et aux Société de gestion de droits collectifs qui les représentent) de s’adapter aux nouvelles utilisations dans un environnement numérique et de décider quelles sont les circonstances où l’utilisation d’une œuvre doit être rémunérée ou non.

Pas au Ministre de l’Industrie canadienne ou celui du Patrimoine canadien.

Ce projet de loi encourage aussi l’utilisation des très impopulaires DRM (impopulaires, tant auprès des artistes que des fans).

Le droit d’auteur actuel est un droit automatique au créateur d’une œuvre. La nouvelle loi sur le droit d’auteur nécessiterait dans certains cas que l’artiste indique clairement aux côtés de son œuvre qu’il est impossible de la reproduire (alors que présentement, c’est l’inverse : il doit indiquer qu’une reproduction est permise). Connaissant les artistes et leur assiduité légendaire, les avocats ne manqueront pas de boulot à faire valoir les droits des artistes qui auront «oublié» de mentionner que la reproduction de leur œuvre est interdite… Et comme si les artistes avaient l’argent pour les payer!

Le droit d’auteur actuel n’est pas parfait… mais il donne pleine possibilité au créateur de disposer comme bon lui semble des revenus et bénéfices liés à l’exécution publique de son œuvre, à sa reproduction, à sa modification et à la dimension morale de sa création.

À ce titre, il existe un outil extraordinaire qui permet aux créateurs d’une œuvre d’en disposer comme bon leur semble : Creative Commons.

Bref, à voir la manière que James, Tony et Stephen veulent remixer la loi canadienne sur le droit d’auteur, on dirait qu’ils cherchent à forcer les créateurs à adopter cette licence Creative Commons

Je ne suis pas contre ce type de licence… au contraire, je l’ai personnellement recommandée aux artistes avec qui je travaille.

Par contre, il revient selon moi à l’artiste – au créateur – de choisir les paramètres de disposition de son œuvre; et non au Gouvernement de décider à la place des créateurs.

En terminant, puisque l’Assemblée Nationale du Québec a récemment adopté à l’unanimité une motion contre le projet de loi fédéral C-32 de Tony Clement et James Moore (qui en connaît si long sur la culture du Québec…), alors pourquoi ne pas négocier le rapatriement du droit d’auteur sous la gouverne provinciale? Il me semble que ça serait un excellent premier pas vers la sauvegarde de notre culture, non?

Illustration photo “We want more”

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About Guillaume Deziel

15 ans d'expérience dans la musique, ex Directeur du développement des affaires, acquisition et distribution de contenus de Bell Mobilité, Guillaume est maintenant le manager de Misteur Valaire. Il donne également des cours sur l’industrie de la musique à l’Institut d’enregistrement studio du Canada (Recording Arts Canada / RAC).

3 comments

Pour ne parle que de ce que je connais :

“Par exemple, mon photographe ne toucherait pas de droit sur la reproduction de la photo qu’il a prise de moi, lorsque j’en ferais copie sur mon profil Facebook;’

En soit, personne n’a jamais été payé pour ça. Et personne n’a jamais été payé pour des utilisations non commerciales.

Cette loi me rappelle les lois sur la légalisation du canabis avec les deux principaux arguments pro/anti

PRO : De toute façon autant autoriser le canabis, puisqu’il circule, arrêtons d’être hypocrite, c’est pas si grave quand même
ANTI : Mais ça va pas ? On va quand même pas autoriser un truc sous prétexte que tout le monde le fait

Selon moi la logique est la même (et me semble la même pour les autres points).

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