Le principe de la rémunération pour copie privée n’a pas bonne presse auprès des consommateurs comme des fabricants et importateurs des supports vierges et appareils enregistreurs qui y sont assujettis. Face à la montée en puissance des usages du cloud et d’un mode de consommation de la musique plus axé sur l’accès que sur la propriété dans l’environnement numérique, il doit faire l’objet d’une révision, ou pour le moins d’une adaptation. Appliqué presque unanimement mais de manière très anarchique au sein de l’Union européenne, sa mise en oeuvre doit également faire l’objet de gros efforts d’harmonisation.
Elles sont un héritage du siècle dernier, une réponse à l’apparition des cassettes à bande magnétique sur le marché, qui ont permis à tout un chacun de réaliser des copies de ses disques ou d’enregistrer la musique diffusée sur les premières radios libres. L’exception pour copie privée, et la rémunération compensatoire qui lui est en général associée, forment un mécanisme inscrit dans le marbre par la “loi de 1985” en France. Cette loi fut notamment adoptée, sous le premier ministère de Jack Lang à la Culture (1981 -1986), en réponse au développement de ce nouvel usage potentiellement dommageable pour les auteurs, artistes et producteurs, parce que susceptible d’impacter directement les ventes de disques à la baisse.
La loi de 1985, qui instituait également une rémunération équitable de la diffusion de musique à la radio, a fêté ses 30 ans l’an dernier. A l’origine, elle avait surtout une vertu émancipatrice, et vocation à libérer de nouveaux usages, de la copie privée à la radiodiffusion de musique, sans les soumettre à l’inflexible régime d’autorisation en vigueur pour les droits des auteurs, artistes et producteurs, pratiquement inapplicable à l’échelle d’un si grand nombre d’usagers. Plus besoin, pour une radio libre, d’obtenir explicitement l’autorisation de la maison de disques et de la Sacem chaque fois qu’elle voulait diffuser un nouveau titre à l’antenne. Et pour un particulier, copier un album qu’il avait acheté sur une cassette, pour l’écouter dans sa voiture ou avec son Walkman, devenait parfaitement légal. A condition de reverser aux ayant droit, en guise de compensation, quelques pour cent sur le chiffre d’affaires publicitaire de la radio, ou sur le prix de vente de la cassette. La licence légale des radios et la rémunération pour copie privée étaient nées.
En ce qui concerne la copie privée, les conditions d’application de la loi de 1985 ont beaucoup évolué depuis. Il a fallu s’adapter, au cours des années 2000, à l’arrivée des supports vierges numériques (CD, DVD, puis clés USB et autres cartes mémoires), et d’une multitude de nouveaux appareils enregistreurs à disque dur ou à mémoire flash (baladeurs, smartphones, tablettes, boîtiers Internet, disques durs externes), tous éligibles à l’exception pour copie privée, mais également soumissibles à une rémunération compensatoire. Le développement de nouveaux usages dans le cloud (stockage distant de copies privées sur des serveurs Internet), et la prépondérance croissante de l’accès (streaming) sur la propriété (CD, téléchargement) dans les modes de consommation de la musique, sont autant de nouveaux défis à relever encore aujourd’hui.
Quelques tarifs fixes de la copie privée appliqués dans 14 pays (€)
Révision en cours
Le législateur français s’interroge actuellement sur l’avenir de la “copie privée” dans le cadre de l’examen du projet de loi Création. Et la directive européenne de 2001 sur le droit d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, qui encadre les législations nationales au sein de l’Union en la matière, fait l’objet d’un long processus de révision engagé par Bruxelles. Il pourrait aboutir à une extension du périmètre de l’exception pour copie privée, et à une réforme des modalités de mise en oeuvre de son mécanisme de compensation, et du mode de calcul de ses tarifs. Avec un objectif d’harmonisation à l’échelle européenne qui est loin d’être atteint : le principe de l’exception pour copie privée et de sa rémunération compensatoire est presque unanimement reconnu au sein de l’Union, mais sa mise en oeuvre par les pays membres est loin de répondre aux mêmes règles.
Plusieurs principes de bases communs ont cependant été précisés par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), lors de jugements qui font jurisprudence. Il en va ainsi de l’arrêt Padawan, rendu en 2010, qui oblige les sociétés de perception de la rémunération pour copie privée à distinguer les particuliers des usagers professionnels, pour lesquels doit être au moins prévu un mécanisme de remboursement. Ces derniers achètent en effet des supports vierges ou des appareils assujettis pour d’autres usages que la copie privée, et ne causent de ce fait aucun dommage aux ayant droit. Ils n’ont donc pas à payer de rémunération compensatoire, a considéré la CJUE. Un autre arrêt rendu en 2013 considère que la mise en oeuvre de mesures techniques de protection (DRM), susceptibles de limiter les possibilités de copie, ne justifie pas de surseoir au paiement de la rémunération pour copie privée.
Un arrêt de 2014, enfin, considère que la source de la copie privée doit être légale, ce qui a pour conséquence de ne pas permettre la prise en compte des dommages imputables aux échanges de musique entre particuliers sur les réseaux P2P dans le calcul des tarifs de la rémunération compensatoire. Un autre principe de base en vigueur à l’échelle de l’Union européenne est que l’exception pour copie privée doit obligatoirement donner lieu à un mécanisme de compensation, ce qui a valu au Royaume Uni, qui n’a introduit cette exception au droit d’auteur dans sa législation qu’en 2014 et sans prévoir un tel mécanisme, de devoir abroger sa loi un an plus tard.
Evolution des revenus de la copie privée dans 28 pays (€)
Une adoption anarchique
Pour le reste, un rapport de l’Office mondial de la propriété intellectuelle (OMPI) publié l’an dernier détaille les différences dans la mise en oeuvre de l’exception pour copie privée et de son mécanisme de compensation d’un pays européen à l’autre. Ainsi, un certain nombre de pays membres (dont la Grèce, la Pologne ou la République Tchèque) ont-ils retenu le principe de percevoir un pourcentage du prix de vente des supports vierges et des appareils enregistreurs, quand d’autres (à l’instar de la France, de l’Allemagne, de la Belgique ou de l’Italie) ont opté pour l’application d’un tarif fixe à chaque type de support ou d’appareil. En Norvège, en Finlande ou en Espagne, cette compensation des dommages de la copie privée, qui sont réévalués chaque année en amont, est prélevée directement sur le budget de l’Etat, sans que les fabricants ou les importateurs ne soient mis à contribution.
Au Danemark, au Portugal ou en Slovénie, l’Etat intervient directement dans la fixation des tarifs de la copie privée, quand il laisse les industriels et les ayant droit s’entendre entre eux en Autriche, en Allemagne ou en Croatie. En France, en Belgique ou aux Pays-Bas, ces tarifs sont fixés par une loi ou par le gouvernement à l’issu de négociations entre fabricants, ayant droit, et associations de consommateurs, au sein d’un corps constitué comme la Commission copie privée en France. Ces différences notables dans les modalités de mise en oeuvre de l’exception pour copie privée expliquent probablement en partie les écarts constatés dans les tarifs appliqués, la France étant le pays où ils sont globalement les plus élevés. Ainsi doit-on payer 0,90 € de rémunération pour copie privée (RCP) sur l’achat d’un DVD vierge en France, contre 0,48 € au Danemark, 0,27 € en Allemagne, ou encore 0,01 € en Croatie.
De même, il en coûtera 45 € de copie privée en France pour un boîtier Internet avec disque dur interne de 500 Go, contre 34 € en Allemagne, ou 10,75 € en Belgique. A contrario, la RCP n’est que de 8 € sur un smartphone en France, quand il en coûte 34 € en Allemagne et 16 € en Hongrie. La même RCP sur les smartphones est de 5 € aux Pays-Bas, et de seulement 0,90 € en Italie.
Dans la grande majorité des pays européens, un certain pourcentage des sommes perçues au titre de la rémunération pour copie privée est alloué à des fonds d’aide à la création, à la découverte, à la promotion de la diversité culturelle, et à la subvention d’événements culturels ; ou à des fonds de pension pour les auteurs et les artistes. Ce taux de retenue varie sensiblement d’un territoire à l’autre : de 50 % en Autriche, il tombe à 10 % en Estonie, grimpe à 33 % au Danemark, et s’élève à 25 % en France. Contesté devant les tribunaux par Amazon, la légitimité de cette ré-allocation partielle et indirecte de la rémunération pour copie privée a été réaffirmée par la CJUE en 2013.
Les revenus de la copie privée par habitant dans 28 pays (€)
En voie d’harmonisation
Au total, le montant de rémunération pour copie privée perçu dans l’Union européenne s’est élevé à 731 millions d’euros en 2014, contre 517 millions en 2013, et 402 millions en 2012. L’Allemagne (281 millions d’euros en 2014) et la France (228 millions d’euros) sont les plus gros contributeurs, très loin devant l’Italie (78 millions d’euros), qui se classe au troisième rang. Dans son rapport, l’OMPI établit également le montant de rémunération pour copie privée perçu par habitant dans chaque pays. Sans surprise, l’Allemagne (3,48 € par habitant en 2014) et la France (3,45 €) se classent nettement en tête, devant la Belgique (2,89 €), la Hongrie (2,83 €) et les Pays-Bas (2,12 €). En moyenne, cette contribution par habitant, qui peut parfois tomber très bas (0,11 € en Espagne), était de 1.87 € dans l’Union européenne en 2014.
Une corrélation relative peut être établie, considère l’OMPI, entre le PIB par habitant de chaque pays et la contribution moyenne de ses ressortissants à la rémunération pour copie privée en Europe. Cette corrélation reste forte, également, lorsque l’on considère le nombre d’internautes dans chaque pays ou les dépenses des ménages en équipements audiovisuels, électroniques et informatiques, ces dernières servant généralement de base à la perception de la RCP.
S’il est bien ancré dans la culture européenne, le principe de l’exception pour copie privée assortie d’une rémunération compensatoire fait l’objet de nombreuses attaques ces dernières années, notamment de la part des fabricants et importateurs d’appareils enregistreurs, dont le lobby est extrêmement puissant à Bruxelles. Face à la montée en puissance de nouveaux usages comme ceux qui se développent dans le cloud, sa pérennité est loin d’être assurée, alors que les perceptions annuelles de RCP, qui ont progressé de 33 % dans l’Union européenne entre 2007 et 2014, constituent une source de revenus de moins en moins négligeable pour les auteurs, artistes et producteurs.
L’harmonisation des tarifs de la RCP et de la gamme des supports et appareils éligibles au sein de l’Union européenne, qui est un des objectifs de la révision de la directive de 2001, devra reposer, si elle ne veut pas se faire par le bas, sur des études beaucoup plus approfondies de la réalité des usages. La question de l’évaluation des dommages réels causés à l’exploitation du droit exclusif d’autoriser des auteurs, artistes et producteurs sera au cœur des enjeux.