Un an après le début de leur aventure avec Ricard S.A Live Music, on est allé rencontrer la manageuse de Fuzeta pour parler genèse du groupe, métier de manager et bien sûr, tremplins musicaux. A quel stade du développement d’un groupe s’inscrire, pourquoi choisir le Ricard S.A Live Music, qu’attendre à l’issu d’un tel dispositif ou encore quels sont les bons conseils pour s’y préparer, Anne Burlot-Thomas revient sur la participation de Fuzeta au Prix RLM 2015 et l’année riche et mouvementée qui s’en est ensuivie pour les lauréats !
1. Pour commencer, pouvez-vous vous présenter et nous dire quelques mots sur votre métier ?
Je suis directrice de l’association MAPL fondée par des musiciens à Lorient, il y a 20 ans pour soutenir la création et la diffusion des musiques actuelles dans le sud de la Bretagne. Nous avons deux équipements, le Manège, SMAC (scène de musiques actuelles) et les Studios (lieu d’accompagnement, d’enregistrement et de répétitions) et un festival, Les IndisciplinéEs. Notre projet est fortement orienté vers le soutien aux musiciens professionnels, la jeune création et l’accompagnement des pratiques amateurs. On mène aussi un gros travail en action culturelle avec les publics du territoire en mettant en place par exemple des résidences artistiques territoriales. Nous sommes une équipe de 14 personnes avec pas mal de projets hors nos murs, la moitié environ sur les 200 que nous menons chaque année.
2. Quand avez vous commencé à travailler en tant que manager de Fuzeta ?
Nous sommes 7 dans l’équipe à bosser sur l’accompagnement des groupes en fonction de leurs besoins, de leurs projets et de leur niveau. 190 groupes amateurs et professionnels viennent régulièrement chez nous. 3 des membres des FUZETA sont adhérents depuis 2008. Ils venaient répéter régulièrement. Nous les avons d’abord accompagnés avec deux de leurs précédentes formations dans un parcours que nous développons avec le Conservatoire de Lorient qui permet aux groupes amateurs de musiques actuelles de faire avancer leur projet en collectif. On passe une année active à leurs côtés, cela permet de bien les connaître, de mieux cerner leurs problématiques et leur potentiel de progression également. Quand Dorian est venu nous faire écouter les premières maquettes de Fuzeta, on a tout de suite senti qu’ils étaient en train de franchir un nouveau cap. On a eu un gros coup de cœur artistique et pourtant c’est assez rare que nous soyons tous les 7 d’accord, ça discute beaucoup, il y a pas mal d’exigence artistique, c’est quasiment notre seul critère pour envisager un soutien à la professionnalisation. Et on a décidé de les accompagner dans le développement du groupe et de leur permettre dans la mesure du possible de ne plus faire que de la musique.
Au sein de l’association, je m’occupe de suivre plus particulièrement les projets des musiciens professionnels et de toute la partie production/création. Mais cela reste un travail fortement collectif avec Jeyz et David, nos régisseurs live et enregistrement, Thierry notre programmateur, Murielle et Sam qui bossent avec moi sur les questions de structuration, l’équipe de com… Ce sont d’assez longs compagnonnages, on se donne deux ans pour que les groupes se structurent suffisamment et trouvent des partenaires solides pour voler de leurs propres ailes. C’est aussi un endroit où le groupe peut se poser, trouver un endroit d’échanges et de retours sur ce qu’ils sont en train de créer. Et on travaille beaucoup en réseau avec différentes structures de la filière, tourneurs, médias, festivals. C’est un vrai plus. Cela permet d’avoir des premiers retours quand le groupe en a besoin et aussi de les aider à trouver un tourneur comme ça a été le cas avec Fuzeta.
3. Quelle est l’histoire du groupe ? (genèse du projet, rencontre des membres, style musical, faits marquants)
Aux Studios, on voit les musiciens au quotidien, les choses se font doucement, ils nous confient leurs premières maquettes pour avoir un premier avis pro, on discute beaucoup et dans la durée. Avec les frangins Sims (3 des membres de Fuzeta), c’est une longue histoire. On les suit depuis la fin de leur adolescence et on a toujours gardé une oreille sur leurs différents projets. Comme beaucoup, ils sont partis un peu dans tous les sens au démarrage mais ce sont de gros bosseurs et surtout ils ont pris le temps de mûrir, de prendre des risques, de se remettre en question. Quand on a accompagné leurs deux formations amateurs précédentes, ils ont vraiment pris le temps de digérer et de lâcher prise aussi dans une certaine mesure. Et Fuzeta est né de ce moment particulier, de cette énergie-là. Je me souviens avoir écouté la toute première maquette dans une voiture et me dire, “tiens là, il se passe quelque chose, ça bouge et dans le bon sens”. Ils ont un son vraiment à eux, comme toutes les très bonnes pop, cela paraît simple alors qu’en réalité, les structures sont particulières, les arrangements de batterie très spécifiques, il y a une recherche d’épure, et une vraie prise de risque de ne pas se cacher derrière un déluge d’effets. Et ils ont un talent d’écriture et de composition indéniable qui se confirme avec les morceaux qui arrivent.
On a donc choisi de les aider à pousser l’histoire un peu plus loin en 2014 en les accompagnant sur la création de leur set et on a commencé à faire écouter les premières maquettes. On a de la chance en Bretagne d’avoir un réseau de travail en production petit mais très soutenant avec l’Antipode et l’Echonova et bien soutenu par la Région, le CNV, la SACEM et l’ADAMI. Et d’avoir les Transmusicales évidemment. Jean-Louis Brossard a été le premier à voir le set en dehors de l’équipe de MAPL et à aimer le projet autant que nous. Les Fuzeta ont été bien entourés par les Trans avant, pendant et après le festival. On reste en contact et on échange sur les étapes que le groupe continue à passer et sur celles qui arrivent. Le passage aux Trans a été une étape cruciale en 2014 tout autant que le prix RLM en 2015. Cela a permis au groupe de confirmer sa collaboration avec François des Tontons Tourneurs et d’avoir leurs premières dates. Ils en ont fait 50 depuis et cela leur permet aujourd’hui d’avoir du temps devant eux pour ne plus faire que de la musique. Et il y a pas mal de nouvelles pistes – et de nouveaux territoires – qui s’ouvrent à eux mais c’est encore un peu tôt pour en parler.
Le Prix Ricard S.A Live Music
4. Maintenant le décor est planté, comment avez-vous connu le Prix Ricard S.A Live Music ?
Je viens de l’art contemporain où la fondation Ricard mène un travail intéressant de soutien à la création. Et en creusant les dispositifs de soutien à l’émergence dans les musiques actuelles, j’ai découvert qu’ils s’engageaient également auprès des musiciens. Ayant un a priori plutôt positif sur leur rôle dans les arts plastiques, j’ai cherché un peu plus loin et j’ai vu qu’Adrien Marchand, le chef de projet de Ricard Live Music, venait de chez Fargo, un label dont j’aimais beaucoup le travail et en voyant la composition du jury, cela m’a confirmé que c’était une bonne piste.
6. Selon vous, à qui s’adresse ce dispositif ?
A des groupes qui ont suffisamment mûri leur projet artistique et qui ont besoin d’un levier pour se faire connaître et se structurer. Le critère artistique est déterminant. Le prix Ricard Live Music, ce n’est pas Mary Poppins, ils ne vont pas transformer un baudet en cheval de course. Par contre, ils vont amener les moyens d’approfondir certaines questions et de passer un gros cap sur le disque, la scène, l’exposition auprès du public et des pros… Ils peuvent être vraiment pertinents à un moment-clé pour le groupe.
7. Quelles sont les particularités du Prix Ricard S.A Live Music et en quoi se différencie-t-il des autres tremplins ?
Pour en avoir exploré pas mal, c’est vraiment le plus complet avec une approche globale, soutenue et très artistique. Les échanges sont permanents, dynamiques et se font toujours dans l’intérêt du groupe. C’est une vraie bonne surprise, je sais que quelques uns de mes collègues de notre secteur ont une suspicion sur le fait que s’associer à une marque, c’est faire du branding, prendre le risque de standardiser/marketer le groupe. Et pour l’avoir vécu de l’intérieur, c’est exactement l’inverse. Il y a un esprit très DIY, très aventureux, exigeant également. On parle beaucoup musique et surtout musique d’ailleurs. Cela tient à la personnalité d’Adrien Marchand bien sûr mais pas seulement, il est entouré d’une équipe qui se situe dans le même esprit, la même filiation et on sent que même dans la maison-mère, on respecte vraiment cette liberté. Et il y a énormément de bienveillance.
8. Quels seraient vos conseils aux artistes désireux de s’inscrire ?
De bien réfléchir avant de se lancer et surtout de ne pas hésiter à se poser les bonnes questions avant d’y aller. Se poser les bonnes questions, cela peut aussi consister à aller voir les pros qui ne sont pas loin de chez soi pour avoir un premier retour, pour réussir à se situer tant d’un point de vue artistique que de celui de la structuration. Est-ce le bon moment ? Est-ce qu’il reste des choses à mettre en place, à retravailler avant de s’exposer ? Est-ce que les morceaux, le groupe apportent quelque chose de nouveau ? Est-ce qu’il est suffisamment dégagé de ses influences pour porter sa propre voix ? On voit – en tant que salles – plein de groupes avec un discours, le look qui va bien, les références qu’il faut mais sur scène, c’est calamiteux. Pas de point de vue sur le son, ça ne joue pas en place, il n’y a pas de réflexion sur la dynamique de la set-list, l’interprétation, le rapport avec le public…, beaucoup de postures et de bruit pour rien. Je ne suis pas très langue de bois mais pour paraphraser quelqu’un que j’aime beaucoup, ils sont très “self-indulgent”, très contents d’eux-mêmes.
Or le talent ne suffit jamais, un bon titre non plus, il faut une vraie grosse capacité de travail et de remise en question, aller chercher les choses en profondeur. Après, nous avons une grande responsabilité à mieux accompagner l’émergence, les jeunes musiciens, à leur donner des outils pour progresser quitte à les secouer un poil et nous avec. Et à bosser avec les producteurs, les tourneurs, les labels, les médias pour qu’ils arrivent le mieux préparés possible. On a encore un peu de boulot, le contexte a vraiment bougé en peu de temps mais on voit bien que ce soutien à l’émergence, à la diversité artistique va sans doute passer par un renforcement des liens au sein de la filière, de manière verticale ou horizontale.